Un texte d’Yvon Godefroid.

Les cétacés captifs reçoivent quantité d’anxiolytiques et d’antidépresseurs pour surmonter le stress de l’enfermement et réduire leur agressivité. Le milieu confiné dans lequel ils survivent est à ce point inadapté à leurs besoins que des doses massives d’antibiotiques, d’anti-douleurs, de vitamines et de bien d’autres « médicaments » doivent également leur être administrés.

Ike à Marineland

L’histoire de Ike :

Lors d’une querelle juridique entre SeaWorld et le Marineland du Canada, en 2011, des documents ont révélé que SeaWorld droguait ses orques avec des benzodiazépines, une classe de médicaments qui comprend le Valium et Xanax. Ces documents ont été déposés comme une déclaration sous serment.

SeaWorld avait envoyé l’orque mâle Ikaika (Ike) au parc marin de Niagara Falls en tant que « prêt de reproduction« . Très vite, SeaWorld s’inquiéta du bien-être de l’animal et finit par le réclamer en retour.

Tentant malgré tout de garder Ike à Marineland, le parc canadien a lancé des poursuites contre SeaWorld devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Il a perdu le procès. La déclaration sous serment de M. Lanny Cornell, vétérinaire et ancien dirigeant de SeaWorld, est particulièrement intéressante. M. Lanny Cornell a quitté SeaWorld et joue désormais un rôle de consultance auprès du Marineland.

Le témoignage de Cornell détaille l’histoire médicale de Ike et éclaire sous un jour assez rare les techniques d’élevage en bassin. La  déclaration sous serment a ainsi mis à jour ses préoccupations à propos du jeune cétacé :

– Dès l’âge de 4 ans, Ike a souffert de problèmes dentaires chroniques, causés par le forage manuel de ses dents, réduites à des trous ouverts. Il a subi plusieurs infections dentaires nécessitant des traitements antibiotiques répétés.

– Cornell considère qu’une période de quatre ans minimum est nécessaire après la naissance pour la première éducation des orques. Ceci confirme les accusations des défenseurs des dauphins qui accusaient SeaWorld de séparer les jeunes mâles de leur mère trop tôt. En mer, les fils quittent rarement leur mère durant toute leur vie.

– Ike avait agressé un dresseur et avait été mis sous tranquillisants.

– En août 2006, Ike est signalé comme étant « sous-alimenté« . Il fallut utiliser des menaces pour qu’on augmente ses rations.

– Nalani, un bébé orque née en 2006 et alors âgé de 9 jours à peine, avait été attaquée par Ike (né en 2002) et Taku (né en 1993, mort en 2007). Notons que Taku est non seulement le père biologique de Nalani, mais aussi son…frère puisqu’ils partagent la même maman, Katina.

SeaWorld a d’abord administré du Valium à Katina et à Taku puis il en a donné à Ike, qui avait carrément tenté de violer le nouveau-né.

« Nous allons essayer de l’amollir un peu avec 80 mg de diazépam deux fois par jour », déclare alors le vétérinaire dans les documents transmis à la justice.

Katina et sa "famille"

Légende : Katina et sa « famille »

 

Valium pour tout le monde !

Ce médicament est particulièrement dangereux quand il est donné à une mère allaitante, ce qui constitue une violation des directives médicales les plus élémentaires.

Pourtant, c’est bien ce qui s’est passé à SeaWorld.

Selon John Knight, vétérinaire consultant pour plusieurs grandes organisations de protection animale, le diazépam ne peut pas être utilisé sur des femelles enceintes ou qui allaitent. Ce produit peut causer des anomalies congénitales, telles que le « syndrome du bébé mou » (hypotonie du nouveau-né) et interférer avec le développement de l’enfant lorsque sa mère en prend soin.

Adam M. Roberts, de Born Free USA, confirme : « Le Diazépam est utilisé par l’industrie de la captivité pour contrôler les troubles du comportement des cétacés captifs, tels que les stéréotypies ou les angoisses, très fréquents en delphinarium. Bien que son usage se « justifie » lors des captures ou des transferts, l’utilisation à long terme de ces substances mène à la toxicomanie, qui implique des doses de plus en plus élevés nécessaires pour atteindre les mêmes effets. Sur le long terme, des doses aussi élevées peuvent provoquer l’amnésie, l’anxiété accrue, l’agressivité et des comportements erratiques, ainsi que des problèmes périnataux lorsqu’il est administré à des femmes enceintes ou qui allaitent ».

« Ces médicaments ne sont utilisés que sur avis médical » rétorque Fred Jacobs, porte-parole de SeaWorld, qui ajoute :

« Les benzodiazépines sont parfois utilisés en médecine vétérinaire pour les soins et le traitement des animaux, à la fois domestique et dans un cadre zoologique. Ces médicaments peuvent être utilisés lors de la sédation pour les procédures médicales, comme prémédication avant une anesthésie générale, et pour le contrôle des crises. L’utilisation de benzodiazépines pour les cétacés est rare et utilisé sous la direction médicale d’un vétérinaire ».

SeaWorld n’a cependant fait aucune allusion à l’usage de ces psychotropes pour « amollir » les animaux, comme l’indiquent pourtant les dossiers vétérinaires déposés devant le tribunal.

Tilikum sous calmants

Légende : Tilikum sous calmants

Chez l’orque comme chez l’humain, les benzodiazépines affectent la façon dont les neuromédiateurs transmettent des messages à certaines cellules du cerveau, en diminuant leur excitabilité.

Lorsque les benzodiazépines ont été inventées dans les années 1960, on pensait qu’elles étaient sans danger. Aujourd’hui, ce sont les médicaments les plus couramment prescrits dans les pays occidentaux, utilisés comme calmants ou comme somnifères mais créant rapidement des phénomènes d’addiction majeure.

On sait aussi que si vous prenez une benzodiazépine pendant plus de 2 à 4 semaines, vous pouvez développer des problèmes tels que la crise de panique, les expériences hors du corps ou des spasmes musculaires.

Les benzodiazépines ne devraient donc être utilisés que dans des cas très spécifiques, et seulement pour une courte période. Ce n’est pas le cas en bassin. Et ce n’est pas le cas non plus au Japon, où les dauphins de Taiji reçoivent une injection massive de tranquillisants lors de leur capture dans la baie sanglante.

Quant aux problèmes dentaires de Ike à Marineland, ils n’ont rien d’exceptionnel.

Dans un article scientifique, Jeffrey Ventre et John Jett, anciens dresseurs à SeaWorld, estiment que les dommages dentaires irréversibles sont une conséquence de la captivité chez la plupart des orques détenues dans un environnement artificiel. Celles-ci rongent leurs barreaux et se brisent les dents. Antibiotiques et analgésiques sont dès lors prescrits en quantité massive.

Ces médicaments s’imposent aussi pour guérir les blessures parfois profondes de ces mammifères marins encagés. La plaie de Nakai en est un triste exemple.

 

 

La pharmacie du cétacé captif

Les médicaments sont une réalité quotidienne pour les orques, les bélugas et les dauphins captifs.

Depuis les compléments alimentaires jusqu’au Valium, toutes sortes de drogues sont utilisées pour lutter contre les infections, les problèmes gastriques et même les comportements indésirables, comme l’agression.

« Tous les mammifères marins reçoivent des vitamines quotidiennes adaptées à leur espèce », a déclaré un informateur anonyme au Digital Journal. « Ces compléments sont indispensables, car la congélation du poisson et le processus de décongélation suppriment pas mal de nutriments ».

L’un des plus importants fournisseurs de suppléments vitaminés destinés aux cétacés est l’entreprise Mazuri. Un autre fournisseur est Lanny Cornell lui-même, non seulement vétérinaire à SeaWorld mais aussi président de Pacific Research Laboratories, Inc. La société de Cornell fabrique le Sea Tabs®, un régime de vitamine conçu pour remplacer les nutriments détruits par la surgélation du poisson.

Au-delà de ces compléments, les cétacés reçoivent en outre du Megace, du Carafate (Sucralfate), du Zantac (Ranitidine) et du Prilosec (Omeprozole).

Le Megace est un produit chimique artificiel (stéroïde) similaire à la progestérone, une hormone féminine. Il est utilisé pour « modifier les comportements« , en particulier chez les mâles pendant les périodes de rut et servent à réduire l’agression.

Médicaments des orques à Antibes

Légende : Médicaments des orques à Antibes

D’autres médicaments couramment utilisés sont ceux qui traitent les ulcères et les remontées d’acide gastrique chez les mammifères marins stressés.

C’est le cas du Prilosec (Omeprazole), une drogue dont l’utilisation prolongée est préoccupante.

L’utilisation à long terme du Prilosec (Omeprazole) est en effet contre-indiquée car il peut provoquer une diminution de l’acidité des sucs gastriques et provoquer l’apparition de « boulettes de poisson » composées d’arrêtes non digérés coincées dans l’estomac.

Quant aux grands dauphins de SeaWorld, ils reçoivent du Valium chaque fois qu’on les transporte d’un endroit à l’autre.

Le « CRC Handbook of Marine Mammal Medecine » expose les réactions des cétacés à certains médicaments. Le problème commun de tous ces antiacides est que leur surdosage finit par faire vomir les dauphins. Dans le même ouvrage, on trouvera la liste des différents types de sédatifs utilisés pour les cétacés. Le Lorazépam, l’Oxazépam, le Temazepam et bien sûr, le Diazépam, sont tous mentionnés à la page 706.

Phil Demers, ex-dresseur au Marineland de l’Ontario, déclare à ce propos qu’au Marineland, « le Valium est la réponse à tous les maux ». On l’utilise comme stimulant de l’appétit lorsqu’un animal refuse de manger. « Nous en bourrions nos mammifères marins, raconte Phil, et les overdoses accidentelles n’étaient pas rares. »

Un jour, l’orque Kiska avait accidentellement avalé les poissons au Valium de son compagnon Ike, continue l’ancien dresseur, « Le surdosage l’a rendue totalement léthargique. C’était dangereux, elle flottait sur le flanc ».

Phil et Smooshi

Légende : Phil et Smooshi

Phil Demers est connu pour l’amitié qu’il entretenait avec la femelle morse Smooshi. Quand il a quitté le parc, « les soigneurs ont bourré Smooshi de toutes sortes de calmants, pour calmer son anxiété d’être séparée de moi ».

L’ancien entraîneur a également expliqué que le plus vieux béluga mâle du Marineland, appelé Beyli, était régulièrement traité avec des benzodiazépines. Beyli fut capturé en Mer Blanche en 1994.

« Le béluga refuse de franchir les portes entre les bassins », explique Demers, « ce qui veut dire que pendant la saison de reproduction, les dresseurs sont incapables de le séparer des femelles. On le bourre donc avec des doses si massives de Valium qu’elle vous ferait perdre conscience. Et le béluga devient alors une sorte de gros tas de gélatine sans force… »

Et en Europe ?

En 2012, le delphinarium de Nuremberg a été contraint de livrer ses archives médicales par décision de justice, sous la pression de WDC Allemagne. Il est ainsi apparu que les dauphins du parc étaient soumis à des doses massives de benzodiazépines.

Dans 50% des cas, la drogue était utilisée pour contrôler le comportement des dauphins.

La WDC a également révélé que le Zoo de Nuremberg se servait de traitements hormonaux pour diminuer l’agressivité des mâles, comme à SeaWorld : il s’agissait de Megestat, une hormone féminine principalement donnée aux mâles.

Zoo de Nuremberg

Légende : Zoo de Nuremberg

L’usage de ces drogues par le Delphinarium de Rimini en Italie a été révélé de la même manière. L’établissement a du temporairement fermer ses portes pour maltraitance et ses dauphins ont été déplacés.

En France, aucune information ne filtre. Mais nous savons qu’au Marineland d’Antibes, l’orque Freya, capturée en Islande, a tenté de tuer sa dresseuse et qu’elle a connu des périodes de dépression intenses, au fil de ses fausses couches. On peut donc supposer qu’elle a subi un traitement médicamenteux similaire à celui des orques de SeaWorld.

En Belgique, il suffit de voir la vidéo de Beachie, immobile sous le scanner, pour comprendre qu’il est bourré de calmants jusqu’aux yeux.
Par ailleurs, avant chaque spectacle, Beachie reçoit 10 pilules de Ciprofloxacine après le premier show puis 5 pilules après et encore 5 pilules pour le second show. Soit 20 doses d’antibiotiques chaque jour.

La Ciprofloxacine (INN) est un antibiotique fluoroquinolone de la seconde génération. Son spectre d’activité couvre la plupart des bactéries pathogènes responsables des infections respiratoires, urinaires, gastro-intestinales et gastriques. Dans le cas présent, les poumons semblent être la cause majeure du problème, la respiration de Beachie s’étant révélée erratique et difficile depuis des mois.

C’est de problèmes dentaires dont souffraient deux dauphins de Bruges, Milo (8 ans) et Flo (13 ans) mais aussi sans doute d’un surdosage de médicaments.

Après sa mort durant la nuit du 5 au 6 janvier 2012, le delphinarium avait déclaré à propos de Flo :

« L’animal, né avec une mauvaise dentition, avait déjà rencontré des problèmes similaires dans le passé, mais ceux-ci avaient été traités avec succès. Le 18 décembre, 2 dents avaient de nouveau été retirées afin de combattre l’inflammation. Depuis lors, Flo était sous antibiotiques, mais cela s’avérait insuffisant et Flo ne mangeait plus assez. Après des radiographies de la mâchoire et des analyses sanguines, le vétérinaire a décidé, après avoir consulté d’autres spécialistes, que des antibiotiques plus forts et des compléments vitaminés devaient lui être administrés. Les soigneurs du delphinarium ont donc traité Flo par médicaments 2 fois par jour, en lui administrant les comprimés directement à la main, même durant les vacances. La veille de son décès, tout semblait normal. Mais Flo a été retrouvée sans vie vendredi matin dans le bassin. L’animal a été emmené à Gand pour une autopsie ».

Enfin, tout porte à croire que Roxanne a été traitée par des « inducteurs de l’ovulation« . Ceux-ci stimulent les ovaires et permettent d’obtenir des ovocytes de qualité optimale. Le traitement impose un suivi échographique des ovaires et des dosages hormonaux afin d’adapter la posologie à l’évolution des follicules et d’éviter ainsi les surstimulations ovariennes, causes possibles de grossesses multiples.
Roxanne mit au monde des jumeaux en 2011, mort avant et après la naissance, et se retrouva encore enceinte l’année suivante.

La camisole chimique

Que l’on surmédicalise les cétacés captifs n’a rien d’étonnant. Leur vie se passe à tourner en rond dans un bassin vide. Le sol est nu, pavé de carrelage. Les murs sont nus. Rien ne flotte en surface. Pas un « jouet », pas une balle, pas un cerceau. L’espace est absolument vide.

Orques et dauphins ont un cerveau aussi complexe que le nôtre. Ils vivent au sein de sociétés dotées de cultures et de dialectes. Leur monde est l’océan, d’une infinie diversité.

Alors que la plupart des zoos tentent aujourd’hui de distraire leurs détenus avec des agrès, des tonneaux, de la nourriture cachée ou des enclos de grande taille, c’est tout le contraire en delphinarium.

Ici, on prive sciemment les cétacés de toute forme d’enrichissement environnemental.

La seule distraction sera le prochain show, toujours le même, réglé comme du papier à musique sous une musique assourdissante. Cette vie rend fou. Elle rend malade.
Alors on « soigne« .

En prison comme dans les asiles, les humains encagés eux aussi sont assommés de drogues pour qu’ils se tiennent calmes. C’est ce qu’on appelle la camisole chimique.