Un article de Hervé Bérard.

C’est en tant que militant de protection animale et environnementale que j’ai eu la chance de m’émerveiller devant cette information extraordinaire et fascinante publiée dans la newsletter du Center for Biological Diversity du 6 février 2013 : un dauphin handicapé par une déformation spinale a été adopté par un groupe de cachalots (physeter macrocephalus).

Il s’agit d’un grand dauphin (tursiops truncatus), espèce la plus courante dans les delphinariums et les reportages, d’âge adulte, et d’une masse d’un ordre environ 100 fois inférieure à celle de ses plus grands hôtes (150 à 400 kg contre 15 à 50 tonnes). On le voit pourtant dans la vidéo ci-dessous échanger de nombreuses caresses avec différents membres de cette improbable famille d’accueil :

Il a été observé en 2011 pendant 8 jours consécutifs en leur compagnie au large des Açores, par les éthologues Alexander Wilson et Jens Krause, de l’Institut d’Ecologie Aquatique pour la Pêche de Leibniz. Bien que la toile et les annales scientifiques débordent d’exemples montrant des interactions affectives très fortes et émouvantes entre individus d’espèces différentes – allant jusqu’à l’allaitement de jeunes herbivores par des femelles carnivores -, ces comportements sont généralement constatés chez des animaux vivant sous la bienveillance des hommes. Dans la nature, où la difficulté de survivre prévaut sur tout autre loi, les relations amicales interspécifiques sont le plus souvent de caractère symbiotique : les deux partis en tirent un bénéfice réciproque.

C’est pourquoi les deux chercheurs s’interrogent sur l’avantage dont profitent les géants de la présence de leur lointain cousin parmi eux et émettent l’hypothèse qu’il participe efficacement au baby-sitting des jeunes pendant la plongée des adultes, lesquels vont chercher leur nourriture à des profondeurs qu’aucun autre mammifère ne peut atteindre (jusqu’à 3000 m). D’ordinaire, l’un d’entre eux reste toujours en surface pour les veiller, en alternance, au cours de ces opérations, et le nouvel adjoint hors-norme peut faire un très bon suppléant pour cette tâche. Néanmoins, il n’y a pas de certitude sur ce point car on n’est pas sûr que ce groupe soit la cible de prédateurs – en l’occurrence des orques – dans ce secteur. A titre personnel, je me demande malgré tout justement si ce dauphin n’aurait pas éventuellement des capacités à détecter la présence des orques encore supérieures à celles des cachalots.

D’autre part, on suppose qu’il a pu perdre son groupe d’origine pour en avoir été rejeté, mais je me dis également qu’il a pu s’en éloigner de lui-même à force d’en être un poids, de par sa locomotion ralentie, elle-même plus compatible avec le rythme placide de ses nouveaux amis. Bien que cette association n’ait jamais été observée auparavant, on présume qu’elle aurait pu naître du goût prisé par les dauphins de chevaucher les vagues engendrées par des objets mobiles en surface, bateaux ou baleines.

Je me plais également à penser qu’elle pourrait simplement résulter de l’empathie des cétacés pour l’un des leurs en détresse, voire du talent hors-catégorie des dauphins pour charmer tout animal sensé passant à leur portée qu’ils ne sauraient menacer. En témoigne cette autre vidéo où l’on peut voir des dauphins, tursiops également, se masser les flancs sur les tubercules de baleines à bosse (ou mégaptères ou jubartes) parfaitement consentantes et même coopérantes, dans les eaux d’Hawaï.

Source : http://www.biologicaldiversity.org/news/center/articles/2013/national-geographic-01-23-2013.html