Sam, le dauphin qui ne voulait pas être captif

« Un article de Philip Demers, Marineland Whistleblower (24 janvier 2014)
« As a Former Marineland Trainer, I Can Tell You That Dolphins Feel »
Traduction et commentaires : YG, Dolphin Connection Belgique »

Dauphin captif dans le bassin d'un delphinarium

En tant qu’ancien dresseur au Marineland Canada, je peux vous dire ce que les dauphins ressentent quand on les capture.
La plus grande chasse au rabattage connue dans l’histoire récente a eu lieu à Taiji, Japon, en janvier 2014.
https://freedolphinsbelgium.wordpress.com/2014/01/19/un-petit-ange-en-enfer/

Laissant derrière eux leurs familles, les « chanceux », qui ne furent ni massacrés ni capturés, durent être repoussés de force vers le large, de la même façon qu’on les avait poussé dans la Baie de la Honte, en frappant sur des tiges de métal.

En tout, lors de cette prise, 52 dauphins ont été emmenés en captivité, pour être vendus à des aquariums internationaux. 40 furent  abattus pour leur viande. Sachant ce que nous savons sur la nature sociale et les capacités émotionnelles des cétacés, on peut craindre que beaucoup de ces « chanceux » libérés ne soient parti mourir plus loin, de traumatisme et de désespoir.

Quant aux 52 prisonniers, le désespoir sera probablement la cause « inexplicable » de leur mort.

Dauphin lors d'un show au Marineland Canada

Cette affirmation peut sembler audacieuse. Pourtant, mon expérience d’ancien dresseur de mammifères marins employé pendant 12 ans au Marineland de l’Ontario  me permet de témoigner de la douleur et de la souffrance que ces êtres sensibles endurent.

Bon nombre des animaux capturés en milieu naturel que nous avons reçus ne sont jamais parvenu à traverser l’épreuve de la captivité. Aucun traitement médical, si sophistiqué soit-il, ne pouvait soulager leur douleur. Aucune analyse sanguine ne pouvait révéler la cause de leur décès. Simplement, ces dauphins avaient perdu toute volonté de vivre.

En 2001, le Marineland venait d’importer six dauphins de la Mer Noire.

Parmi eux se trouvait un mâle âgé que les chasseurs russes avaient surnommé Sam.
Sam était un grand gaillard, massif et fort. Sa nageoire dorsale a été marquée à froid, comme celle de tous les dauphins du Marineland que vous pouvez voir aujourd’hui.

http://www.ceta-base.com/phinventory/historicalphins/allphins_mlc.html

Les cicatrices sur sa peau meurtrie étaient comme des médailles, qui attestaient de sa fière vie d’antan. Il s’agissait probablement d’un grand-père. Et c’était  certainement un guerrier. Des dauphins de cette taille ne se contentent pas de menu fretin.

Ce que Sam n’avait pas, en revanche, c’était la naïveté nécessaire aux jeunes dauphins pour s’adapter peu à peu à leur existence confinée.

Dauphins au Marineland - Ontario

Dauphins au Marineland – Ontario

Le processus de transition de la vie sauvage à la vie captive commence par la nourriture.
Nous donnions à manger aux dauphins des moitiés de poissons morts à peine dégelés. Comme les animaux fraîchement capturés sont réticents à s’approcher de l’homme, on leur jette le poisson dans la pisicine et l’on note chaque jour la quantité d’aliments qui leur a été donné.

Idéalement, avec le temps, les dauphins finissent par être conditionnés à leur nouvelle réalité. Ils finissent par devenir ces amuseurs de foules que les gens paient pour venir voir ou nager avec eux.
Ce ne fut pas le cas de Sam, qui ne voulut jamais prendre son poisson.

Nous avons mis tout en œuvre pour le garder vivant. Nous vidions sa piscine tous les jours pour la nettoyer, nous le nourrissions de force, nous lui injections dans le dos des antibiotiques. Nous lui écartions les mâchoires avec des serviettes et nous y enfournions le poisson congelé dans sa bouche largement ouverte jusqu’au fond de la gorge. Cette méthode de gavage intrusive et douloureuse, s’avéra très pénible pour Sam. Peut-être aurait-il fini par accepter, avec du temps et de la douceur, à venir prendre le poisson lui-même plutôt que d’être alimenté de la sorte.

Nous avons pu croire un moment qu’il faisait des progrès. Mais Sam mourut bientôt dans un entrepôt de Niagara Falls, privé de toute lumière naturelle et sans aucun membre de son pod auprès de lui.

La cause de sa mort ne fut pas communiquée aux dresseurs. Ce n’était pas nécessaire. Ce « vieil homme » ne pouvait pas continuer à vivre avec le traumatisme de sa capture. Il ne voulait pas d’une existence sans sa famille ni sans sa liberté.

Sam était vraiment un guerrier.

Alors que des tracés imaginaires créent des frontières entre nos propriétés, nos provinces, nos pays, on ne trouve rien de pareil chez les pacifiques habitants non-humains de l’océan. Notre culture et notre politique ne s’appliquent pas à leur utopie, mais les échos des atrocités commises durant ce week-end de janvier 2014 résonnent à jamais dans leur monde.

Les « chanceux » épargnés pour être gardés en bassin, ceux qui furent repoussés au large après avoir été témoins du massacre de leurs proches, tous peuvent se demander aujourd’hui si vraiment, ils ont eu tellement de chance.

Sam ne le pensait pas, ni d’autres après lui.

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Un article de Philip Demers, Marineland Whistleblower (24 janvier 2014)

« As a Former Marineland Trainer, I Can Tell You That Dolphins Feel » :

http://www.huffingtonpost.ca/philip-demers/captive-dolphins-emotions_b_4661034.html?utm_hp_ref=fb&src=sp&comm_ref=false#sb=4418880b=Facebook

Phil Demers est un ancien dresseur renégat, d’un extrême courage. Il fait aujourd’hui l’objet de procès et de pressions de toutes sortes depuis sa défection du Marineland de l’Ontario :
http://www.earthintransition.org/2012/08/top-trainer-blows-whistle-on-marineland-canada/

Cet établissement, cerné de charniers de mammifères marins:

http://www.thestar.com/news/canada/2012/12/20/marineland_environment_ministry_launches_probe_into_mass_animal_graves.html

Il est connu pour fouler aux pieds toutes les règles du bien-être animal. Il détient près de 40 bélugas entassés dans ses bassins mais aussi Kiska, une orque devenue folle de solitude:

http://blog.seattlepi.com/candacewhiting/2013/05/21/marineland-conditions-for-killer-whale-still-substandard-video-of-kiska-the-orca/

SadLonely_2_Taiji_Burns_SMALL_2_2-12Plus largement, le récit de Phil Demers nous révèle des conditions de vie qu’ont connu chacun des cétacés fondateurs de chacun de nos delphinariums. Ils y sont encore nombreux et tous, comme Puck ou Freya, ont gardé la mémoire de ces camps de regroupements et de dressages intensifs, où seuls les plus forts survivaient.

Les récits abondent de dauphins qui se suicident pendant ou après la capture. La mortalité durant les premiers jours ou les premiers mois d’enfermement est massive. Chris fut ainsi le tout premier dauphin de Floride à être amené en Belgique. Il était né libre aux alentours de 1965. Arrivé le 20 décembre 1968 au delphinarium du Zoo d’Anvers, il y mourut le 6 janvier 1969:

http://www.dauphinlibre.be/captifC.htm#massacre

Aujourd’hui, les delphinariums d’Europe ou des Etats-Unis prétendent qu’ils ne procèdent plus à aucune capture, du moins directement. Ils affirment à tort que leur population de nés-captifs est durable et n’a plus besoin d’apports extérieurs. Au sein de la confrérie mondiale des cirques aquatiques placés sous l’égide de la WAZA, ils ne sont pourtant qu’une minorité.

Jamais l’Industrie de la Captivité n’a autant capturé.

taiji-200-last-janvier2014

Janvier 2014: dauphins maintenus captifs à Taiji au Japon. Certains dauphins, comme Sam, sont sélectionnés pour les delphinariums, plus tard les autres sont massacrés – Photo: Sea Shepherd