Les dauphins vus par les philosophes de l’Antiquité

« On peut bien croire que les dieux lui veuillent du bien, car le dauphin aime l’homme, tandis qu’entre les animaux terrestres les uns n’en aiment pas un seul, et d’autres

[…] ne font que caresser ceux qui les nourrissent et leur sont familiers, comme le chien, le cheval, l’éléphant. […] Le dauphin est le seul de tous les animaux du monde à porter autant d’amitié à l’homme, celle que recherchent et désirent tous les plus grands philosophes, et cela par instinct naturel et sans en tirer profit ; car il n’a aucunement besoin del’homme, et néanmoins il est amical et bienveillant envers tous, et en cas de besoin en a secouru plusieurs… »

Plutarque, Quels animaux sont les plus avisés ?

Les histoires de dauphins dans l'AntiquitéCette citation de Plutarque, philosophe grec et prêtre d’Apollon à Delphes, a presque 2000 ans. Pourtant, elle n’a (presque) pas pris une ride : aujourd’hui encore, une multitude d’histoires témoignent de cet instinct altruiste propre au dauphin, qui vient à notre rencontre et se porte à notre secours lorsque nous nous trouvons en danger dans la mer. Pour les Grecs, cette attitude unique s’expliquait par l’origine mythologique du dauphin. Avant d’être des “poissons”, ils étaient des hommes, et c’est Poséidon qui leur avait confié la mission de venir en aide aux êtres humains.

Les Grecs, puis les Romains, attribuèrent ainsi de nombreuses qualités aux dauphins : amicaux, solidaires, intelligents, reconnaissants, esthètes et sensibles à la musique.

Le dauphin, un esthète sensible à la beauté musicale

les dauphins sont passés maîtres dans l'art surprenants des "bubble rings" Le fait que les dauphins aiment le beau trouve peut-être un argument dans l’art fascinant des “bubbles rings”, ces anneaux formés de bulles d’air, avec lesquels ils jouent en véritables virtuoses.

Cependant, dès l’Antiquité les penseurs rapportent d’autres formes artistiques qui ne les laissent pas insensibles. Le naturaliste romain Pline l’Ancien fait par exemple du dauphin “le chanteur des mers”. Dans son Histoire naturelle, il écrit que “Le dauphin n’est pas seulement ami de l’homme, il aime la musique. Il se plaît aux sons de la symphonia, surtout de l’orgue hydraulique. L’homme ne lui est nullement étranger, il n’en a pas peur. Il vient vers les bateaux, joue et saute alentour, lutte de vitesse et les devance, même s’ils voguent à pleines voiles.

Cet amour de la musique se retrouve dans le mythe d’Arion, décrit par l’historien grec Hérodote. Arion de Méthymne était un célèbre chanteur et musicien. Après avoir effectué une tournée en Sicile et en Italie, durant laquelle il avait amassé de grandes richesse, il embarqua sur un navire pour retourner à Corinthe, la ville où il s’était lié d’amitié avec le roi Périandre.

Quand il fut à bord et le bateau en haute mer, les marins alléchés par son magot décidèrent de le tuer. Ils lui ordonnèrent de se jeter par dessus bord. Arion demanda une faveur : qu’on le laissa jouer une dernière fois de sa lyre et accomplir un chant. Les matelots acceptèrent. Debout sur le gaillard d’arrière et ayant revêtu son costume de scène, Arion entonna d’une voix haute un chant sur le mode dit élevé. A la fin, il se jeta à l’eau.SamwiseGamgee69 - Arion assis sur le dauphin, Musée d'OrsayLes Corinthiens, persuadés qu’il était mort, continuèrent leur route. Mais il se produisit, dit Hérodote, “un événement inouï, étonnant et sacré”. Attiré par la beauté de son chant, un dauphin nagea jusqu’à lui et le souleva sur son dos au dessus des vagues. Il l’amena sain et sauf jusqu’au rivage du cap Ténare en Laconie et, de là, Arion pu rejoindre le roi Périandre – à qui il raconta toute l’histoire. Ce dernier, sceptique, fit rechercher les marins et les interrogea comme si de rien n’était. Ils dirent qu’au moment de leur départ, Arion se trouvait en Italie et y recueillait les fruits de son succès. Au beau milieu de leurs déclarations, Arion apparut avec sa lyre et le costume de scène qu’il portait quand il avait sauté à l’eau. Les marins ébahis furent confondus et ne purent nier.

Le dauphin, un animal reconnaissant et bienveillant

Plutarque rapporte l’histoire de Korianos, un pêcheur natif de l’île grecque de Paros et ami des dauphins. Celui-ci tomba un jour sur des pêcheurs qui s’apprêtaient à en tuer tout un groupe. Korianos les acheta pour les faire libérer. Avant de reprendre le large, les dauphins le regardèrent longuement.

Puis, un jour qu’il naviguait entre l’île de Paros et celle de Naxos, son bateau fit naufrage dans une tempête. De tout l’équipage, dit Plutarque, il fut le seul rescapé, grâce à un dauphin qui vint lui porter secours et l’amena jusqu’au plus proche rivage, dans une grotte qu’on appelle depuis « Grotte Koerana ».les dauphins dans la Grèce antiquePlutarque termine son récit sur ces mots : « quand Korianos mourut, quand la fumée de son bûcher s’éleva au bord du rivage, un groupe de dauphins se rassembla en silence, la tête hors de l’eau pour assister aux funérailles et, quand la fumée s’éteignit, tous disparurent et nul ne revint jamais. »

Ces histoires véhiculées par les peuples marins nous renseignent sur la façon dont les dauphins étaient perçus dans le monde antique. Elles nous permettent de comprendre pourquoi le meurtre d’un dauphin était considéré par les Grecs comme un acte sacrilège et passible de mort. Le dauphin leur apparaissait comme un frère marin, un “homme de la mer” possédant les qualités qui nous font reconnaître en eux tout comme en nos semblables un même esprit, une même humanité.