L'intelligence des dauphins en fait-elle des personnes non-humaines - Photo Bobby Chromik ~ Lawcrow

Dans un article récent des scientifiques déclaraient que les dauphins devraient être traités comme des « personnes non-humaines ». Je me suis rendu compte que ce genre d’affirmations ne laissaient pas indifférent : les uns affirment que les dauphins sont bien plus humains que les humains eux-mêmes, les autres que c’est faire du mal aux dauphins que de les placer encore une fois sous le feu des projecteurs. Certains estiment que ce genre d’argument n’est pas scientifique, d’autres ne comprennent pas même ce que le concept de « personne non-humaine » peut recouvrir…

Tout cela m’a donné envie de réagir. Je vais donc détailler ici les raisons pour lesquelles je pense que oui, les dauphins devraient être traités comme des « personnes non-humaines ». En d’autres termes, pourquoi ils se qualifient mieux que toute autre espèce animale à l’accession à ce titre – du moins, pourquoi je le crois.

Mais avant toute chose, il conviendrait de donner une définition aux termes qui soulèvent tant de débat. Que faut-il entendre par les termes de « personne » et de « droits de la personne » ?

Qu’est-ce qu’une personne ?

Que nous dit le dictionnaire ?

Selon le Larousse, une personne est en premier lieu un « individu de l’espèce humaine, sans distinction de sexe. » Le mot signifie également : « Cet individu défini par la conscience qu’il a d’exister, comme être biologique, moral et social. » Enfin, nous apprenons que la personne humaine est un « individu de l’espèce humaine qui se distingue du simple individu biologique et a droit à la considération parce que doué d’une conscience morale. »

Ceci porte à penser que ce qui définit une personne c’est, en outre de son appartenance à l’humanité, le fait qu’elle possède une conscience d’elle-même et une conscience morale. C’est cette conscience qui lui donne droit “à la considération”, autrement dit qui lui garantit le droit au “respect de sa personne”.

Voyons maintenant comment les philosophes définissent le terme “personne”. Il y ici aussi plusieurs définitions. Une personne est…

1. Un individu doué de raison en tant que constituant une substance.

2. Un être humain considéré comme un être conscient de son existence, possédant la continuité de la vie psychique et capable de distinguer le bien du mal.

3. Un individu défini par ses droits et ses devoirs.

Le vocabulaire juridique lui-même reprend ce critère pour définir ce qu’est une personne : il s’agit d’un être de raison et sujet de droits. Le terme « sujet de droits » signifie qu’il bénéficie, en tant que tel, de droits inaliénables tels que ceux définis dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, à commencer par le droit à la vie et le droit à la liberté.

“Un individu conscient et doué de raison”

Au cœur de ces définitions, on retrouve donc toujours l’idée qu’une personne est un individu, conscient de lui-même et doué de raison.

Or, d’après ce que l’on sait, l’homme n’est pas le seul être vivant à pouvoir être qualifié d’“individu conscient et doué de raison”… les dauphins aussi le peuvent (entre autres). Et la Déclaration d’Helsinki, qui estime que les dauphins devraient être considérés comme des “personnes non-humaines” ne dit pas autre chose. Son préambule affirme notamment que “la recherche scientifique nous donne un aperçu plus précis de la complexité de l’esprit, des sociétés et des cultures cétacés”, et ce sont cet esprit, ces sociétés et ces cultures qui fondent la reconnaissance de droits.

Qu’entend-on par « les dauphins devraient être traités comme des personnes non-humaines » ?

Pour comprendre l’affirmation selon laquelle les dauphins devraient se voir accorder des droits de la personne, il faut tout d’abord comprendre quel est le statut juridique de l’animal à l’heure actuelle. Selon la loi française, tout animal est un « objet de droits ». C’est-à-dire qu’il est considéré au même titre qu’un bien meuble par exemple et ne peut se voir attribuer aucun droit propre.

Cette expression veut tout simplement dire que, d’objet de droits, les dauphins devraient devenir des sujets de droits. Plus précisément, qu’il devraient se voir accorder des droits de la personne tels que ceux définis plus haut : droit à la vie, droit à la liberté.

Ceci dit, maintenant que les définitions sont posées, il reste tout de même une question… Qu’est-ce qui permet d’affirmer que les dauphins sont des individus conscients d’eux-même et des êtres doués de raison ?

Pourquoi les dauphins devraient-ils se voir accorder des droits de la personne ?

Comme on a pu le voir précédemment, une personne se définit par des attributs tels que la conscience de soi, le sens de sa propre continuité, la possession d’une raison. Or, diverses études ont établi que les dauphins possédaient :

1. Un langage complexe comparable au langage humain, avec une syntaxe et un vocabulaire ;

2. Une conscience de soi : les dauphins se reconnaissent dans un miroir ou sur un écran de télé ;

3. Une conscience de soi dans le futur ;

4. Une culture transmissible d’individu à individu et de génération en génération ;

5. La capacité de résoudre des problèmes abstraits complexes ;

6. Un nom, un prénom et une « nationalité » exprimés sous forme d’un sifflement signature individuel ;

7. Un sens de l’empathie entre dauphins mais également pour les hommes : ils se portent au secours de leur congénères mais également des hommes, comme le rapportent nombre de témoignages.

Cet ensemble de capacités fait apparaître une chose : le dauphin apparaît tel un animal doué de raison (pour paraphraser le titre d’un roman de Robert Merle). Si l’on se limite aux définition données plus haut, il semble donc légitime d’affirmer que les dauphins constituent bien des personnes. Des personnes qui sont dotées d’une conscience d’elles-mêmes, capables de se projeter dans le présent et le futur, et possèdent tous les attributs que l’on appelle “raison”.

La Déclaration de Droits pour les Cétacés : Baleines et dauphins

C’est pour cela que certains – dont moi-même – réclament des droits de la personnes pour les dauphins. Ces animaux nous prouvent chaque jour qu’ils possèdent ce que nous autres humains appelons la « raison », et qu’ils constituent donc par extension ce que nous appelons « une personne ». Le problème, c’est que le terme de « personne » ne s’attribue qu’aux êtres humains (ainsi que nous l’avons vu dans les définitions ci-dessus). Voilà pourquoi on réclame pour leur part qu’ils soient traités comme des personnes, mais comme des personnes « non-humaines ».

Et quels droits ce traitement en tant que “personnes non-humaines” leur octroierait-il une fois accordé ? En premier lieu, le droit à la vie et le droit à la liberté. Pour terminer ce billet, je vous invite à lire La Déclaration de Droits pour les Cétacés : Baleines et dauphins, adoptée le 22 mai 2010 à Helsinki par une assemblée de spécialistes, scientifiques et philosophes.