Beaucoup d’espoirs reposaient sur l’amendement à l’article L. 413-2 déposé par Mme Blandin, MM. Dantec, Labbe et les membres du groupe écologiste. Mais que nenni, pas question d’interdire l’importation de cétacés à des fins de « dressage récréatif ».  Quand on sait d’où certains proviennent (par des circuits détournés, bien sûr)…

Dans un raisonnement qui n’est pas sans rappeler celui de Descartes à propos des animaux-machines (« comment le penser de l’un sans le croire de tous« ), la question de la captivité des dauphins est assimilée au débat anti-zoo en général – une position « idéologique ». Pas d’exception pour les cétacés, quoi qu’en disent les scientifiques et les philosophes qui réclament pour eux un statut de « personne non-humaine » – à l’instar de ceux qui ont signé la Déclaration de Droits pour les Cétacés à Helsinki, en 2010.

Ci-dessous le compte-rendu des débats concernant cet amendement, le 22 janvier dernier. En attendant que la France se décide un jour à interdire l’exploitation des cétacés à des fins purement commerciales, vous pouvez signer la pétition protestant contre le projet de delphinarium du Zoo de Beauval (qui a d’ores et déjà le soutien de Mme Royale, la ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie).

M. le président. L’amendement n° 357, présenté par Mme Blandin, MM. Dantec, Labbé et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 46 ter

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Après l’article L. 413-2 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 413-2-… ainsi rédigé :

« Art. L. 413-2-…. – La capture et l’importation de cétacés à des fins de dressage récréatif sont interdites. »

II. – Le présent article entre en vigueur six mois après la promulgation de la présente loi.

La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Cet amendement concerne les delphinariums de France, sujet sensible dont il a beaucoup été question ces derniers temps. Nous avons tous en tête les images d’un Marineland situé sur la Côte d’Azur qui a été dévasté par les intempéries d’octobre dernier. Nous avons tous vu les orques, les tortues et les otaries évoluer dans une eau boueuse et contaminée qui fragilisait vraiment leur survie.

En prévoyant que « la capture et l’importation des cétacés à des fins de dressage récréatif sont interdites », notre amendement vise à tarir la source : on ne pourra plus importer ces animaux s’ils viennent du monde sauvage.

L’espérance de vie des cétacés est beaucoup plus brève en captivité que dans la nature. En effet, ils sont dans un état de stress permanent : les bassins de béton, à l’eau chlorée, exigus et dénués de végétation, sont à l’évidence inadaptés à la physiologie et au comportement naturel de ces animaux. Les naissances en captivité sont d’ailleurs très rares : l’inconfort dans lequel vivent les animaux est peu propice à la reproduction. Pour le peu de naissances en captivité recensées, car il y en a, nous n’empêchons rien.

Pour compenser ce déficit des naissances, les delphinariums font capturer des animaux en milieu sauvage, ce qui perturbe grandement les groupes de dauphins. En effet, tout comme les orques, les dauphins sont des animaux sociaux qui communiquent entre eux. Imaginez, mes chers collègues, l’impact que peut avoir sa capture sur un dauphin ainsi prélevé et mis dans un bassin avec des compagnons inconnus sans qu’on lui ait demandé son avis…

Sans tomber dans l’anthropomorphisme, il nous faut tout de même nous projeter un peu !

Un symbole de l’exploitation à l’œuvre dans ces parcs, qui va complètement à l’encontre du bien-être animal, est le syndrome de l’aileron flaccide, caractérisé par le ramollissement de la nageoire dorsale de l’animal. Près de 100 % des orques captives souffrent de ce syndrome, quasi inexistant chez les orques sauvages.

Les acrobaties que l’on oblige ces animaux à effectuer sont certes spectaculaires, mais elles ne contribuent en rien à la reconquête de la biodiversité ni à susciter de l’empathie avec ces animaux.

Ce ne sont que les restes de mœurs aujourd’hui révolues qui s’effacent du reste peu à peu. Il faut aujourd’hui avoir le courage de décider d’y mettre fin. On peut d’ailleurs noter que La Réunion, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, collectivités très proches d’eaux où vivent ces cétacés, ne se sont pas lancées dans ces dérives touristiques. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bignon, rapporteur. La commission a émis sur cet amendement un avis de sagesse.

Ce sujet important a déjà été débattu lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale. Le Gouvernement – ce n’était pas Mme Royal qui le représentait ce jour-là – s’était alors engagé à organiser un examen complet de la réglementation relative aux delphinariums et à ne pas délivrer de nouvelles autorisations d’ouverture dans l’intervalle.

J’ai en outre eu connaissance de l’existence d’un courrier adressé aux préfets à ce sujet en juillet 2015. Par ailleurs, je rappelle qu’un arrêté interministériel est en vigueur depuis le 24 août 1981.

Il n’y a donc pas manque de réglementation en la matière. Pour autant, l’arrêté en question pourrait sans doute être revisité pour adapter les règles de fonctionnement, tant du fait des manques qui auraient pu être décelés que pour y intégrer les nouvelles connaissances scientifiques évoquées à l’instant par Mme Blandin. En effet, l’éthologie a fait des progrès considérables, à l’image de la science en général : il faudrait par conséquent intégrer à la réglementation les connaissances que les vétérinaires et les scientifiques ont acquises sur ces sujets.

Il existe un lieu très intéressant à Moorea, en Polynésie française.

M. Roger Karoutchi. Il faut y aller en vacances ! (Sourires.)

M. Jérôme Bignon, rapporteur. En effet ! Un laboratoire dirigé par une vétérinaire remarquable y soigne des animaux blessés, essentiellement des tortues et des dauphins. On pourrait probablement effectuer un travail de recherche pour adapter les lieux de captivité à la lumière des connaissances scientifiques actuelles, si tant est que cela soit possible avec ce type d’animaux.

Madame la ministre, je me tourne vers vous, car je ne saurai en dire beaucoup plus. Certains pays ont interdit les delphinariums, d’autres se sont dotés d’une législation pour les encadrer, de nombreux pays enfin ne connaissent pas ce genre d’établissements. Parmi les 195 pays ayant participé à la COP 21, bien peu sont concernés par la question.

Quant à nos compatriotes, ils sont partagés : d’un côté, le sujet les émeut – il faut prendre en compte cette émotion –, de l’autre, ces spectacles les réjouissent : les enfants sont contents d’aller voir les dauphins…

M. le président. Il faudrait conclure, monsieur le rapporteur : il nous reste 154 amendements à examiner !

M. Jérôme Bignon, rapporteur. J’ai fini, monsieur le président !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ségolène Royal, ministre. Cet amendement est satisfait. En effet, l’arrêté du 1er juillet 2011 fixant la liste des mammifères marins protégés sur le territoire national interdit déjà la capture de tous les cétacés.

Pour ce qui est des delphinariums, je m’étais engagée devant l’Assemblée nationale à revoir la réglementation. En attendant la publication d’une nouvelle réglementation, j’ai demandé aux préfets de suspendre l’accord d’autorisation d’ouverture de tout nouvel établissement détenant des cétacés. Parallèlement, afin d’élaborer ces nouvelles dispositions réglementaires, nous avons engagé un travail approfondi avec les représentants des différents parcs, des experts des cétacés et, prochainement, les associations de protection de la nature et des animaux.

Par exemple, j’ai reçu une demande d’autorisation de la part du parc de Beauval, un parc parfaitement bien géré (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.) et un lieu extraordinaire de conservation, de présentation et d’éducation à l’environnement. De tels parcs sont des structures créatrices d’emplois ; je pense donc que, tout en restant vigilant, il ne faut pas non plus avoir d’attitudes trop rigoureuses sur ces sujets. La direction du parc de Beauval est parfaitement responsable.

M. André Trillard. Celle des autres parcs aussi !

Mme Ségolène Royal, ministre. Ces parcs constituent, certes, des équipements touristiques, mais ils sont liés à la valorisation de la nature. Voilà pourquoi, par exemple, une telle demande d’autorisation doit recevoir un avis positif. J’ai en tout cas l’intention d’accompagner le développement de ce centre sans négliger, bien évidemment, de réglementer et d’empêcher les abus tels que ceux que vous avez évoqués.

Je n’ai pas de position idéologique contre les parcs zoologiques…

Mme Marie-Christine Blandin. Nous non plus !

M. Ronan Dantec. Non, nous non plus !

Mme Ségolène Royal, ministre. … mais je comprends que l’on puisse en avoir. Je pense que le développement d’activités touristiques respectueuses de la vie animale mérite d’être accompagné et soutenu, tout en étant encadré, bien évidemment, par une réglementation susceptible d’empêcher les abus.

M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu, pour explication de vote.

M. Gérard Cornu. La présentation que vous avez faite de cet amendement, madame Blandin, m’interpelle. En effet, vous avez commencé votre exposé en évoquant les images des catastrophes naturelles qui ont frappé le sud de la France. Nous les avons en effet tous vues, mais, au-delà de ces cétacés, que les gestionnaires du parc ont bien entendu tenté de sauver, des hommes et des femmes sont morts dans cette tragédie : vous auriez pu les mentionner ! (Mme Évelyne Didier proteste.)

Mais peu importe, je voudrais avant tout, au-delà de cette catastrophe, certifier que ces animaux ne sont pas maltraités. Ils sont en rapport avec l’homme et, notamment, avec les enfants. Ces parcs constituent, à mon avis, une bonne manière de montrer aux enfants comment ces animaux peuvent se comporter avec des êtres humains. Voilà pourquoi je suis en désaccord complet avec votre analyse.

Certes, il faut se montrer vigilant : je trouve à cet égard les déclarations de Mme la ministre très intéressantes. Je connais bien le parc de Beauval : ce sont des gens sérieux, tout comme, d’ailleurs, la plupart des gestionnaires de ces parcs. Cela découle de leur volonté de rapprocher l’être humain et les animaux, projet ô combien éducatif.

Par conséquent, je ne partage en aucune manière votre vision et je voterai contre cet amendement !

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Je ne suis pas un spécialiste des delphinariums, même si, comme tout le monde, j’ai vu certaines séries télévisées. (Sourires.) Autant je suis sensible à la cause animale, autant je me méfie de la logique dans laquelle on entrerait par l’adoption de cet amendement : je ne comprends pas comment on pourrait s’attaquer aux delphinariums sans, dans un second temps, contester les parcs zoologiques eux-mêmes.

On m’oppose que cela n’a rien à voir : mais si ! Si ce qui importe à vos yeux est que les animaux dits « sauvages », une fois en captivité, ont un mode de vie différent et un temps de vie plus court, ce sera la même chose pour les tigres, les pandas, les lions et tous les autres animaux ! Reconnaissez au moins que, en réalité, vous voulez ouvrir un autre débat, sur le point de savoir si, oui ou non, on veut ici ou ailleurs dans le reste de l’Europe, des parcs zoologiques. (Mme Marie-Christine Blandin et M. Ronan Dantec protestent.)

En effet, même si les conditions sont différentes, vous retrouvez dans les parcs zoologiques ces mêmes éléments que vous dénoncez pour les delphinariums : capture, sortie du milieu naturel, intégration forcée, mode de vie et durée de vie différents.

Reconnaissez donc que vous souhaitez un débat sur la présence d’animaux sauvages dans les parcs zoologiques et les delphinariums des pays occidentaux. Et c’est un vrai débat ! Je ne prétends pas, d’ailleurs, que mon avis serait opposé au vôtre : je nie simplement que l’on puisse ainsi isoler les delphinariums du reste.

Si ce mode de pensée sur la condition animale devient courant, une réflexion globale s’imposera forcément sur tous les modes de captivité des animaux sauvages. Ayons donc cette réflexion, mais vous ne pouvez pas, en tout état de cause, aborder la question à partir des seuls delphinariums.

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.

Mme Évelyne Didier. Nous faisons face à un sujet complexe. Cela dit, on ne peut raisonner aujourd’hui sans prendre en compte les progrès accomplis dans la compréhension du monde animal. Nous savons désormais que l’animal est un être sensible. Ces découvertes, si elles ne sont pas récentes à proprement parler, gagnent en tout cas un large public : personne ne peut encore défendre qu’enfermer un animal, c’est pour son bien !

M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

Mme Évelyne Didier. Je n’ai jamais prétendu le contraire, monsieur Karoutchi !

Pour autant, il est évident que certaines espèces ont besoin d’être conservées dans des parcs parce qu’elles sont en voie d’extinction. Nous connaissons les progrès considérables qui ont été accomplis dans ces parcs : je ne tomberai pas dans la caricature !

Pour ma part, j’ai trouvé la position de Mme la ministre très équilibrée. Elle est consciente des enjeux et avance donc de manière pragmatique, comme elle sait bien le faire : cela me convient. Évitons toutefois de toujours raisonner de la même manière sans tenir compte des dernières découvertes : nous savons que les dauphins sont particulièrement sensibles et intelligents, à l’instar des singes et d’un certain nombre d’autres animaux.

M. Roger Karoutchi. Les tigres !

Mme Évelyne Didier. Il existe vraisemblablement chez eux une souffrance qui ne s’exprime pas d’une manière visible pour nous. Sans faire d’anthropomorphisme, nous devons cependant rester attentifs et garder en tête que ce n’est pas parce qu’une pratique était commune qu’elle est bonne, quand bien même des progrès ont été réalisés : nous devons continuer à nous interroger. Quant à moi, j’estime que ce problème méritait d’être posé, et ce sans caricatures de part et d’autre.

M. Jérôme Bignon, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Hervé Poher, pour explication de vote.

M. Hervé Poher. M. Karoutchi a dû rater un train (Sourires.) : nous avons adopté hier à l’unanimité un amendement insérant un article additionnel après l’article 32 quinquies qui prévoit que les zoos ont une mission à la fois d’éducation de la population et de conservation d’une fraction des ressources génétiques de la planète.

M. Roger Karoutchi. C’est merveilleux ! Et alors ?…

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Pendant que nous votions l’amendement mentionné par M. Poher, inscrivant ainsi dans la loi la fonction de conservation qu’ont aujourd’hui les parcs zoologiques, M. Karoutchi regardait peut-être l’une des multiples rediffusions du film Hatari ! …(Nouveaux sourires.)

Les zoos ne se fournissent pourtant plus en animaux sauvages de la façon dépeinte dans ce film : on ne les attrape plus au lasso !

M. Roger Karoutchi. Au lasso ? Quel rapport ?

M. Ronan Dantec. La question spécifique que nous posons dans cet amendement est celle des delphinariums. Pour ma part, je me méfie énormément de l’anthropomorphisme dans ce genre de sujets et je ne me laisserai pas enfermer dans cette approche. Quitte à provoquer, on pourrait aussi affirmer que les animaux sauvages sont bien contents d’être nourris et logés !

Mme Évelyne Didier. Tout à fait !

M. Ronan Dantec. En revanche, les zoos se soumettent aujourd’hui à une règle qui impose de ne pas prélever d’animaux sauvages dans la nature. Les zoos renouvellent désormais leurs populations au moyen de programmes de reproduction d’animaux captifs. Ainsi, l’addax, que j’ai pris en exemple, a été sauvé par les zoos et on le réintroduit à présent en Afrique du Nord.

Dès lors, à mon sens, le seul critère qui aujourd’hui fait sens est la capacité ou non de l’animal à se reproduire en captivité. De ce point de vue, les parcs zoologiques jouent tout à fait leur rôle.

Le problème spécifique des delphinariums, c’est que les animaux ne s’y reproduisent pas, ce qui prouve bien qu’ils ne s’y sentent pas bien. Il s’agit là d’un critère scientifique et non anthropomorphique.

Les delphinariums me semblent donc condamnés, pour la raison même qu’ils ne parviennent pas à reproduire leurs animaux et qu’on en reste réduit à un prélèvement qui rappelle là Hatari ! .Un tel procédé n’est plus possible.

Pour ma part, je suis même très surpris que le zooparc de Beauval, dont les fonctions à la fois pédagogique et récréative sont extrêmement claires, s’embarque dans un projet de delphinarium aujourd’hui. Il faut au contraire préparer la sortie de la logique des delphinariums, même si on mesure bien l’enjeu économique.

Il faut le dire tranquillement et sans anthropomorphisme : les activités où il n’y a pas de reproduction sont condamnées,…

Mme Évelyne Didier. Oui, c’est vrai !

M. Ronan Dantec. … même si l’on comprend que des questions économiques se posent et qu’il faille préparer cette sortie. Honnêtement, les sites qui ont des delphinariums – Port-Saint-Père, Astérix – tiendront économiquement, cela ne posera pas de problème.

Je relève pour finir que Mme la ministre n’a pas répondu très clairement à la question de l’importation.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 357.

(L’amendement n’est pas adopté.)